Hier je vous parlais de claques, de fessées. Juste parce que je manquais à tous mes devoirs. Juste parce que je ne sais pas traiter d’un sujet simple sans partir en vrille. Juste parce que c’est un sujet que je tente d’aborder, en tant que maman. Et que je repousse.

Pourquoi je le repousse? Parce que c’est quelque chose de très délicat pour moi, mettre une fessée. J’ai un rapport avec les coups portés assez ambigü. Je ne sais pas trop comment décrire ce sentiment. C’est un peu comme si j’avais quelqu’un de violent qui sommeille en moi qui me fait peur. Que je refoule. Que je détruis au fil du temps. J’ai assimilé la violence de mon père comme mode éducatif. Il est là, quelque part, dans les traces de mon passé. Sous ma peau, dans mes tripes. Des fois quand je vois de la violence, quand des gens se heurtent verbalement et en viennent aux mains dans un lieu public, j’ai une peur panique. Je tremble. Je me mets souvent à terre. Comme quand j’étais enfant, juste pour ne pas voir. Petite, je me cachais sous mon lit, derrière le canapé, derrière les doubles rideaux…  Dans mon lit, quand les heurts de mes parents se poursuivaient derrière la lourdeur de ma porte de chambre, je me recroquevillais en position foetale. Je me berçais. Je me suis toujours auto-bercée. C’est un truc dément, ça. Quand je vais mal, Je me recroqueville sous les draps et je me berce. Jenfi a été le premier témoin de ce rituel bizarre. Me demandant ce que je fichais, à faire bouger le matelas. Je ne le fais plus car je n’ai plus peur. Mais mon corps s’en souvient.

Mon corps se souvient de la rapidité des coups portés. Des bleus sur les joues de ma mère. Des dents qui tombent. Des cheveux qu’on tire et d’un corps qu’on traine au sol. D’un coup de pied dans la dos ou d’un liquide bouillant jeté à la face… bêtement, j’avais juré de lui rendre la pareille, à mon père, quand je serais grande. Je m’étais dit que je lui rendrais tout coup par coup. Je n’en ai pas eu le temps. Ni le besoin. Ni l’envie.

Le problème est de savoir où toute cette haine et toute cette violence sont stockées en moi. Ou elles résident. Si elles sont canalisées, analysées. J’ai entendu trop de médecins dire à ma mère « Un de vos enfants risquent d’être alcoolique. Un de vos enfants risquent de reproduire son schéma familial. Un de vos enfants s’en sortira moins bien que l’autre. »… J’ai entendu plein de choses sur mon hypothétique devenir. J’ai tout fait pour aller dans le sens inverse de ce qu’on me prédisait. J’ai toujours pris le chemin contraire à celui qu’on me traçait. Par survie.

J’ai eu mes enfants. Et j’ai ressenti un bonheur immense, un accomplissement. La paix avec moi-même arrivait enfin. La première fois où Julie m’a fait un caprice, un de ceux que vous ne gérez pas. Un de ceux que vous subissez un soir de grosse fatigue. J’ai mis une fessée. Sur la cuisse. Et j’ai vu la marque de mes doigts sur sa peau. Je me suis enfuie dans ma chambre et j’ai pleuré. Jenfi est venu de suite et m’a dit « Bah qu’est-ce que t’as? ca y est elle est calmée. Tu sais, elle a été tellement surprise de s’en prendre une qu’elle s’est arrêtée net. »….

Moi j’étais mal. Je me suis dégoûtée de suite. Car quand j’ai commencé à mettre une fessée, ma force est venue d’ailleurs et j’ai senti que je pouvais continuer à taper. Encore. Et plus fort. Parce que je n’avais pas de limite. Parce que je savais que mon père tapait au moins cinq fois pour que ma mère cesse d’hurler. Parce que je savais que c’était la seule façon. De faire très mal. D’avoir le dernier mot.

J’ai juré de ne jamais recommencer. Julie n’en a pas eu besoin. Elle a toujours été facile, sensible aux mots, au ton de la voix. Ma voix est en plus assez calme. Et je suis méconnaissable quand je suis hors de moi. Ca vient de je ne sais où et ça ne prévient pas. C’est une autre Véro. Celle qui veut que ça cesse là, et vite.

Manon a été une enfant pleurnicheuse, coléreuse, et pleine de soucis de santé. Je n’arrivais pas à entrer en communication avec elle quand elle avait en dessous de cinq ans. Elle vivait dans son monde. Elle avait mis au point des rituels rassurants pour que son quotidien soit à sa portée. Je jouais le jeu. jusqu’au jour où il a fallu partir en vacances, changer d’environnement, dormir dans un autre lit… elle a paniqué, un soir, devant le lit superposé qu’on lui proposait. J’étais enceinte de Zoé et très fatiguée par le trajet effectué. Elle a fait une crise monstre, elle a commencé à se taper la tête contre le lit, à être agressive avec elle-même… j’ai vu rouge et je l’ai retournée en lui hurlant que j’en avais marre qu’elle soit aussi stupide et je lui ai mis une fessée. La première, depuis sa fragile venue au monde. Elle a arrêté de pleurer, de respirer presque. Je me suis encore enfuie de la pièce. Jenfi m’a couru après et m’a dit « mais bon sang, ça va, elle a juste pris la fessée un peu au dessus des fesses, sur les reins, reviens!!! »… je ne pouvais pas retourner la voir. J’avais l’impression d’avoir entendu une résonnance dans son dos. J’avais son regard affolé en tête. Celui juste avant que je tape. Je me suis revue. Face à mon père qui me tétanisait. J’ai cru devenir le même monstre que lui. J’ai pleuré toute la soirée. Déclenchant des contractions. Maudissant mon père et ma peur d’être à son image. Maudissant mon incapacité à gérer la crise de ma fille autrement qu’en frappant. Elle avait de forts comportements autistiques à l’époque. Des cris de bête, des tendances à se frapper le crâne avec le plat de la main. Elle ne voulait pas que je la prenne dans mes bras. Je pensais qu’elle avait peur de moi. C’était très douloureux. Je me voyais en bourreau et elle en victime. Je me détestais.

Le lendemain matin je suis allée la voir au réveil. J’ai relevé sa chemise de nuit. J’ai voulu voir si on voyait encore la trace de mes doigts sur ses reins. Il n’y avait rien. Je l’ai serré fort contre moi et je lui ai demandé pardon.  Jenfi a vu la scène et m’a dit que je devais faire la paix avec tout ça. Que mon dosage à moi était différent de celui de mon père. Que cela n’avait rien à voir. Que je ne devais pas avoir peur de moi-même. Que je n’étais pas une mauvaise mère.

J’ai jamais plus donner de fessée à Manon. Elle a comme par hasard arrêté ses crises peu de temps après cet épisode et a laissé ma voix lui expliquer mon mécontement quand elle faisait quelque chose de mal.

Je suis une mère qui a apprivoisé ce qu’elle aurait pu devenir. Je suis une mère qui parle beaucoup. Qui a des fois de la violence en elle qui monte mais qui sort de la pièce pour évacuer. Je suis une mère qui sait que c’est perceptible, la violence. Et que si je me calme, tout va bien aller, se dissiper. Je suis quelqu’un qui ne peut pas lever la main sur quelqu’un. Qui n’a jamais pu comprendre à quoi ça sert.

J’ai par contre encore beaucoup à faire sur ma violence verbale. j’ai fonctionné enfant avec un père qui me terrorrisait avec les mots… qui me promettait la mort de ma mère… l’enfer pour moi… qui a su me dire qu’il ne m’aimait pas et que je n’étais rien… je suis très forte pour dire les mots qui blessent. Qui anéantissent l’estime de soi. Je m’en suis aperçue avec Julie, qui est la plus grande et la plus communicative. Elle m’a dit une fois, alors que je l’avais sermonnée pour une chose insignifiante, que j’y étais allée un peu fort. Qu’elle se demandait si elle était à la hauteur. Et si non, qu’est-ce qu’elle devait faire pour que je sois fière d’elle, pour que je l’aime à nouveau?… j’ai pris peur. Elle en doutait, de cet amour que je lui porte. A cause d’une phrase assassine que je lui avais envoyée en pleine face. Je travaille donc sur moi. Beaucoup. Car avec l’encoprésie de Zoé, il faut être diplomate. Cette maladie est venue m’aider à le devenir. Pourtant elle me pourrit la vie.

Je ne suis pas dure avec moi-même en vous avouant tout ça. Je voulais juste vous parler de ce fameux schéma parental que j’avais peur de reproduire. Je sais que je suis une bonne mère car mes filles me le font bien comprendre. Mais il a fallu que j’adopte un système éducatif sans coups ni cris pour pouvoir m’épanouîr. Beaucoup de parents d’enfants que je garde sont étonnés du calme qui règne chez moi. de mon self-control pour faire ce métier. De la rigueur que j’instaure dans mon quotidien. J’en avais besoin. Pour aller à l’opposé de mon enfance. Pour me regarder en face chaque jour dans le mirroir. Et pour m’aimer enfin…

Aujourd’hui je suis fière de moi sur le plan autorité. Je n’ai jamais besoin de lever la main. Juste de hausser la voix… merci papa. Tu m’auras au moins appris cela : ne jamais faire comme toi.