Ce soir, y a Tanguy qui passe à la télé. Je vais pas me gêner pour le revoir, c’est un film que j’affectionne particulièrement. Il est bien joué. On y est ému comme tordu de rire. C’est un juste équilibre. Je n’ai pas besoin de quelque chose de larmoyant en ce moment. La météo suffit à flinguer mon moral… Il fait un vent de malade, on se croirait chez moi, au Havre. Sur le front de mer… il pleut. Les feuilles mortes du mûrier de la cité d’en face forment une bute devant ma porte. Une bien mouillée et glissante. Si je sors pour le pain, je me gamelle à coup sûr… Ca tombe bien, le dimanche, on fait marcher notre machine à pain. Je ne risque pas de mettre un pied dehors…

Nan. Pas aujourd’hui…Hier, j’ai fait ma déco de Noël… poussée par l’enthousiasme dévastateur de Zoé et par le temps pourri qui ne laissait aucun choix de promenade. Je ne vais pas mettre la touche finale cet après-midi. C’est à dire la guirlande bien « blaiblaire » qui orne chaque année mon coffrage de porte d’entrée. Je ne tiens pas à m’étaler avec mon escabeau. Ok, y a le tas de feuilles sur le sol qui peut amortir. Mais je ne vais pas tester. J’avais déjà fait rire mon petit voisin l’an dernier, avec mon style de bricoleuse du dimanche. J’ai un petit voisin taquin, avec qui je m’entends bien. Il blague à « froid ». Au début, je me suis demandée si il se rendait compte de ce qu’il me sortait… alors que j’étais perchée sur mon escabeau devant ma porte, ou en train de tondre ma pelouse… ou en train d’aller à ma boîte aux lettres. Ca me faisait marrer mais j’arrivais pas à rebondir sur sa vanne. Non. Trop occupée à me demander si c’était du lard ou du cochon. Maintenant je sais. J’ai appris à le connaître. Il nous arrive même de rentrer dans la conversation de l’autre sans bouger de notre chaise de jardin, chacun étant assis à déguster son café… avec la haie qui nous sépare…

Donc aujourd’hui, je ne vais pas croiser mon petit voisin. Enfin si, ça risque. J’ai ses clés de maison. Va falloir qu’il vienne les chercher. Car moi, je suis habillée en plouc pas coiffé aujourd’hui. Je franchis pas ma porte.

Je m’écarte. C’est pas vrai ça… bon, je voulais vous dire que j’aime le film Tanguy. Je vous ai dit que c’était un bon film, ok. Ca c’est fait. Je dois vous dire que Tanguy me rappelle mon frère. Mon frangin que j’aime tant. Je suis la plus jeune des deux. Je suis née en 1969, mon frère en 1964. Une certaine différence d’âge qui n’a jamais été un frein à notre complicité, notre adoration mutuelle. Mon frère est un garçon super. Mais peu de gens le savent. Mon frère est à part. Renfermé dans son monde d’adolescent. Celui qu’il n’a pas eu vu notre enfance. Il a choisi de ratraper le temps perdu, là, à l’âge adulte. Il s’en fiche, il est heureux. Et moi je suis heureuse qu’il soit heureux. Les autres, ses collègues ou amis, le recadrent, lui demandent quand est-ce qu’il va grandir. Quand est-ce qu’il va arrêter de dépenser sans compter dans ses passions de cinéphile attardé… il ne dit rien. Il encaisse. Mon frère a toujours tout encaissé. Moi j’ai toujours mordu à sa place. J’ai failli dire plus d’une fois quel être exceptionnel il avait été pendant notre enfance. Juste failli car il ne veut pas « salir » notre père. Il a tellement servi de bouclier pour moi…. tellement. Il me cachait sous son lit ou dans son placard de chambre quand j’avais peur… il me carressait les cheveux. M’affirmait que j’étais sa petite soeur chérie. Sa « Vévé » comme il disait. C’est le seul à m’appeler Vévé, tout le monde dit Véro. J’aime mieux Véro. Mais mon frère il a le droit de faire ce qu’il veut. Et d’utiliser le diminutif que personne d’autre ne prend. Parce que c’est lui.

Mon frère a vécu jusqu’à ses trente ans chez mes parents. Ca arrangeait ma maman. Elle ne coupe pas le cordon ma petite mère. Elle le consolide, le noue encore et encore. Moi, j’ai fait tout ce qu’elle redoutait. Partir vivre loin. Je lui disais que je voulais voyager quand j’étais petite. Voir ailleurs. J’avais tellement besoin d’évasion, de rêve. Ma mère n’y croyait pas une seconde. J’étais si perdue sans elle. je pleurais même pour ne pas aller dormir ailleurs que chez moi… en fait, elle pensait que c’était un lien indestructible. Que je ne changerais jamais. Du jour où mon père a quitté notre domicile, j’ai su qu’elle était en sécurité. Que je ne devais plus veiller sur elle. J’ai commencé à m’éloigner. A sa grande surprise.

Mon frère a fait l’inverse. La maison familiale est devenue un lieu de repli. Un lieu de protection. Surtout après le départ de mon père. Il souffrait sûrement suite à ce qu’il avait vu et fait. Pas moi. Mais je n’ai pas su détecter son mal-être. J’avais trop de choses à faire de mon côté. Une vraie transformation… un vrai envol… il a commencé par assouvir ses passions de fan de SF. Star Wars a envahi ses murs de chambre. Jean-Michel jarre a innondé la maison de ses sons électroniques. Mon frère a choisi un monde parallèle. Un monde meilleur. Fictif. Pas moi. J’ai choisi de sortir de ma coquille. De vivre dans le monde réel.

Mon frère est parti de chez mes parents un peu « à cause de » moi. J’ai envie de dire « grâce à moi ». Mais pour ma maman, la première formule est plus adéquate. Je travaillais à la Poste, j’étais partie vivre à Paris avec mon Jenfi. Mon frère était au Havre, chez mes parents, veilleur de nuit dans une entreprise de peinture….

Il avait la tranquilité et la facilité. Oui. Mais moi, je voulais qu’il connaisse autre chose. Qu’il se bouge. C’est mon souci à moi, la bougeotte. C’est ma mère qui le dit. Je ne suis jamais contente de l’endroit où je pose mes fesses. Faut que j’aille voir ailleurs si c’est plus confortable. C’est pas faux. Mais c’est pas non plus un inconvénient. J’avais envie d’autre chose qu’une vie au Havre sur les traces de mes parents. Je savais que j’allais jamais m’en sortir sinon. Trop de choses me rôdaient autour dans les rues de cette ville.

J’ai donc rempli un dossier d’inscription à un concours de facteur pour mon frère. C’était en 1993. Un des derniers concours. J’arrivais au bureau à 7h15. Mon guichet ouvrait à 8h. Je devais prendre mes timbres et ma sous-caisse. Rentrer tout ça sur l’ordi. Et m’occuper du courrier du bureau. A savoir éplucher les bulletins officiels, les notes de service que nous envoyaient la direction. Chaque guichetier avait un travail à faire avant l’ouverture du bureau. Soit renvoyer les recommandés, les paquets, non réclamés au bout des quinze jours de délai de garde. Soit s’occuper d’aviser les clients de l’arrivée de leur carte bleue ou de leur livret A… bref, voyez le genre. On tournait sur les 8 guichets qu’offraient mon bureau. Et le jour où la note de service concernant le concours de facteur est arrivée, elle est tombée à mon guichet. C’était pas par hasard. Je ne crois pas au hasard.

J’ai inscrit mon frangin, sans son consentement. J’ai tout envoyé. Au moment où il a reçu l’accusé de réception pour valider son inscription, là j’ai eu un appel téléphonique de sa part. Me demandant ce que cela voulait dire. Qui avait fait ça, Jenfi ou moi???? (on faisait le même boulot tous les deux)… que c’était gentil mais que ça ne servait à rien. Qu’il y avait 2500 places d’offertes au niveau national mais que c’était sûr qu’il allait le rater. J’ai juste promis que je ne ferais plus ça dans son dos. Que c’était la dernière fois. Et que si il y allait, je respecterais son choix de rester veilleur de nuit toute sa vie.

Il y est allé, il a obtenu le concours. J’étais ravie. Jenfi aussi. Ma mère a senti qu’il allait partir et a eu beaucoup de mal. Il était resté trop longtemps avec eux, des habitudes avaient été prises. En même temps, savoir ses enfants fonctionnaires était rassurant. Ma mère a toujours eu peur du chômage. Elle a reconnu que j’avais bien fait.

Par chance, mon frère a été muté à Paris un mois après la naissance de ma première fille Julie, en 1994. Ma mère a donc pu faire un transfert d’amour. Son changement de statut de maman à mamie a été un pur bonheur pour elle. Julie était très attendue. Mon frère a alors commencé sa vie de petit parisien. Il vit dans la quartier d’Amélie Poulain et adore la capitale. Il travaille dans le 20ème et connait bien ses clients. C’est un facteur apprécié, à l’ancienne, dévoué. Je suis fière de moi. Là je peux le dire, j’ai vraiment bien fait d’écouter mon impulsivité le jour où j’ai rempli le dossier d’inscription sans lui dire. Allant jusqu’à signer à sa place l’inscription. Mes collègues me trouvaient gonflée. Un peu directive avec mon frère aîné. Aujourd’hui je suis sûre d’avoir pris la bonne décision.

Je n’ai vraiment aucun intérêt à le faire. Mais franchement, regardez Tanguy. C’est excellent. Et puis ça vous donnera une idée de ce qui vous attend, hein???? … c’est vrai, j’en connais certaines qui vont avoir des petits garçons bientôt (Ah les veinardes, Caro D, Jacynthe… c’est quoi votre recette????)…

Mon frère a donc été un Tanguy. Mais mes parents n’on jamais cherché à le faire partir de chez eux. Ca non, jamais. Ma mère était trop contente qu’il vive à ses côtés.

Ca me fait marrer de voir le couple Dussolier-Azéma se compliquer la vie pour dégoûter leur fils de rester.

Moi, je pense que je ne vais pas agir comme ça avec mes filles. Nan… Jenfi pense que je vais tout faire pour les retenir. Il m’énerve. Il me connait trop bien…