Hier j’ai eu un vendredi ensoleillé mais avec la goutte au nez. Je sais, c’est pas glamour, mais c’est une conséquence logique. Il fait super froid le matin, en moyenne 10° (oui c’est super froid, je le confirme!)… et vers midi, paf, il fait 21°. Donc tout ce qu’on s’est mis sur le dos à 7h du mat devient carrément suffoquant vers midi. On se dépoile, on ouvre les fenêtres, on étend le linge et on regarde les fleurs s’ouvrir… bref, ça fait une semaine que c’est comme ça. Et là, tout le monde a une rhino. Julie met carrément des kleenex roulés en forme de tiges dans chacune de ses narines et se balade comme ça dans la maison. Plus la force de se moucher. Normal, à quatorze ans, c’est dur de se moucher toutes les cinq minutes. Surtout quand on est occupé à écouter à fond les Jonas Brothers. Manon renifle, ravale (pff), car concentrée sur son jeu Spore, les deux mains occupées… Zoé laisse couler, trop occupée à bricoler un oiseau en papier (dernière lubie!)…  bref on est tous avec la goutte au pif. Et on est fatigué.

Je l’étais hier. Etat fébrile en plein. C’est le mot juste. J’ai réussi à faire ma journée ok. Mais hier soir, je mourrais d’envie de me mettre sous un plaid avec une bouillotte sur les reins, devant la télé. Reins qui me torturent depuis une semaine et qui m’énervent. Mais bon, ça c’est récurrent. C’est même plus la peine de le signaler. J’ai donc décidé de manger avec mes filles, vers 19h30. Jenfi était d’astreinte et rentrait tard. J’avais mis de côté ses endives-béchamel-jambon faites en plat familial le matin même. Je m’apprêtais à manger une bouchée fumante quand le téléphone à sonner. J’ai pas percuté de suite. On a un nouveau téléphone. Enfin deux. Un pour le haut, un pour le bas. Avec une base qui ne sonne pas en pleine nuit ou en journée pour me réveiller les petits qui siestent. Je suis contente de cet investissement mais je ne l’ai pas encore apprivoisé. Jenfi a mis une sonnerie différente pour que je reconnaisse qui appelle. Il me l’a dit, pendant que je devais avoir la tête sous la douche ou dans la poubelle (!!!)… donc j’ai pas imprimé. Et j’ai surtout rien entendu des « sonneries personnalisées » qu’il a choisi. Donc le téléphone a sonné hier soir. Longtemps. Une musique de restaurant chinois a envahi le salon et j’ai pas percuté. J’ai cru que c’était la musique d’un reportage de 100%mag sur M6.  Sur la bouffe asiatique. Vu que j’avais laissé la télé allumée, au loin. Mais non. Julie m’a rappelée à l’ordre et je suis arrivée in extremis. Avant que ma maman ne laisse un message affolé comme quoi y avait jamais personne dans cette maison.

Tout va bien chez mes parents. Ma mamie est sortie de l’hopital et vit avec eux, dans le nouvel appartement plus grand. Elle mène un peu la vie dure à ma mère mais je les connais si bien. L’une est vive argent, dynamique, organisée (ma mamie), l’autre est heureuse de vivre, zen, sans horaires, maniaque… (ma maman)…. pour vous dire l’ambiance entre mère et fille, j’entendais ma grand-mère farfouller au loin, pendant que ma mère me parlait au téléphone de la visite de ma cousine le midi même… ma mamie cherchait son casque pour regarder ses infos à la télé puis Plus belle la vie. Elle est un peu sourde ma mamie. Donc si elle ne met pas de casque pour regarder sa télé, c’est pas que elle qui va suivre la journal et Plus belle la vie, mais un immeuble de cinq étages tout entier. Celui où elle vit. Donc on a remédié au problème. Jenfi lui a trouvé un casque. Qu’elle branche à sa télé. Hier, elle ne le trouvait pas. Ma mamie farfouillait donc. J’ai alors entendu ma mère me dire :

Ma mère, avec un décibel au dessus : « attends Véro, je te reprends…. qu’est-ce que tu cherches mamie??????????? »

Ma mamie : « Hein??????????? tu me parles Danou??????????????? » (ma mère s’appelle Danièle)

Ma mère : « OUI!!!!…. qu’est-ce que tu fais-là?????? »

Ma grand-mère, énervée d’avoir été démasquée : « Bah je cherche mon casque pardi!!!!… je le mets sur ma petite table de salon devant mon fauteuil, à chaque fois… et là, il n’y est plus!!!!! »

Ma mère, pas dupe : « Assieds-toi, je vais te le chercher ton casque. Je l’ai mis sur ton meuble télé. »

Ma mamie, très énervée : « Mais de quoi tu t’occupes?????!!!!!!!… j’ai mes habitudes. C’est trop haut pour moi de le mettre sur le meuble télé enfin!!!! »

Bref vous voyez l’ambiance. Et c’est pour tout comme ça. Ma mère a repris le fil de notre conversation en me glissant un « Tu vois ce que je vis? C’est tous les jours comme ça…. »…. J’ai pas pris parti. Je les adore toutes les deux et je sais que chacune a les qualités de ses défauts. J’ai laissé ma mère dire et j’ai attendu qu’elle en revienne à nous. A ce qu’elle voulait me demander.

Elle a commencé par me rafraîchir la mémoire. Comme je vis à 800kms du Havre et que je mène ma vie bien loin d’eux, elle m’a demandé si je me souvenais que ma cousine faisait en ce moment une formation pour obtenir un diplôme dans la petite enfance. J’ai dit « Oui ». J’ai parlé de ça avec ma cousine pendant le mariage de mon cousin, en juillet dernier. Donc ce n’est pas si loin. Je me rappelais. Ma mère a donc enchaîné. Et ce à quoi je m’attendais est arrivé.

Ma mère : « Aujourd’hui ta cousine avait un cours sur l’encoprésie. C’est bien ce qu’a Zoé, hein? »

Si ma mère n’avait pas eu un AVC il y a plus de cinq ans, j’aurais été surprise de devoir lui confirmer que « oui, sa petite fille souffre d’encoprésie depuis six ans maintenant ». Là, je n’ai rien dit. Ma mère a des soucis de mémoire. Elle n’enregistre plus les informations comme avant. J’ai accepté ce fait. C’est rien. L’essentiel est qu’elle n’y soit pas restée. Avec cet AVC.

Moi : « Oui maman, c’est de l’encoprésie que fait Zoé. »

Ma mère, soulagée d’avoir dit que c’était bien ça à ma cousine, avant d’avoir eu ma confirmation : « Bon, je ne me suis pas trompée alors. Et bien, elle était toute retournée ta cousine!!!! »

Moi, perplexe : « Ah bon? Pourquoi? »

Ma mère, embarrassée : « La formatrice a affirmé que les enfants qui souffraient d’encoprésie avaient…. »

Elle a stoppé:

Puis elle a repris.

Ma mère, de nouveau : « elle a dit que ces enfants avaient une mère maltraitante…. »

Je m’attendais à ça. Je l’ai tellement lu, entendu dire, partout où je suis allée fouiner pendant mes recherches sur la maladie. C’est là que j’ai découvert qu’internet était un outil qui vous fracasse le moral aussi vite qu’il peut vous le redonner. J’ai beaucoup de contacts avec des parents d’enfants encoprésiques. Je peux vous affirmer qu’aucun n’est maltraitant. Je peux affirmer aussi avoir lancé cette idée reçue en pleine face du gatsro-entérologue qui suit Zoé. Pour qu’il me rassure. M’explique. Il a été clair, net et précis.

Le gastro-entérologue : « Madame, dans la profession, on ne sait pas comment se sortir de cette vérité qui n’en est pas une. Voyez-vous, un jour, un monsieur, couvert par son tître de « psy », a écrit un ouvrage sur l’encoprésie. Il a affirmé que le profil de la mère des enfants atteints par cette pathologie était celui de la maltraitance, de la déprime, de l’auto-destruction… c’est faux. C’est avec ce type d’ouvrage, galvanisé, qu’on en arrive à des situations où la mère de ce type d’enfant… comme vous.. se retrouve accablée… pleine de culpabilité. Alors que vous n’y êtes pour rien…. et puis je vous rassure, je n’ai aucun doute sur votre milieu familial qui m’a l’air très équilibré. »

Ces quelques mots avaient suffi à me remettre sur pieds. J’ai toujours eu peur de reproduire mon schéma familial. J’ai tenté toute ma vie de ne pas me rendre malade avec une malheureuse remontrance faite à une de mes filles. Ou avec une simple fessée. J’ai toujours eu peur de moi-même. Peur de mon héritage génétique; Je me disais que si cette maladie avait « ce genre d’étiquette collée sur le front », c’était mal barré, vu mon passé. Que j’étais partie pour des tonnes de justification, si une psychotérapie était engagée pour que Zoé aille mieux. Qu’on allait me chercher des poux dans la tête, comme quand Manon est née. Une psy passait en néonat, me proposait de venir m’isoler avec elle dans une pièce asseptisée, loin des bruits des machines qui maintenaient plusieurs bébés « plumes » en vie. Elle me demandait juste « Alors, comment allez-vous??? » et ne disait plus rien. Scrutant mes mains nerveuses posées sur mes genoux, mon regard fuyant, ma fatigue affichée. J’ai détesté ça. J’ai fermé la porte à mes peurs. J’ai juste dit que tout allait bien. Elle n’a pas paru persuadée mais ça m’était égal. Personne ne pourra jamais entendre quoique ce soit de vive voix, concernant mon père. Personne qui se dit « psy ». Je ne sais même pas comment j’ai pu en parler ici. Sur ce blog.

J’ai demandé à ma mère, appeurée : « Maman, tu ne t’es tout de même pas posé la question????? Tu me crois capable d’une telle violence envers mes enfants? La même qu’on a subi avec papa???? »…

Elle a paru se réveiller.

Ma mère : « Mais non, Véro, mais non. C’est ta cousine qui voulait savoir. Vu que vous vivez loin, qu’on est pas dans votre couple. Tu sais. C’est pas marqué sur le front des gens. Regarde, pour ton père, tout le monde est tombé de haut le jour du drame, hein???? »

Moi, en plein flashback : « Oui, tout le monde. Mais c’est tout de même dingue que tu puisses me demander ça… que tu ne puisses pas en être sûre. »

Je n’en veux pas à ma mère. Son AVC a tout fait basculer. Sa facculté à analyser les choses. Sa façon d’être. Son tact.  Je sais qu’elle sait que je suis inoffensive. Que je ne supporte pas un mot plus haut que l’autre, un coup, une claque. Rien. J’ai toujours dit à Jenfi que si je devenais un jour l’égale de mon père, envers ma famille, je partirais. D’une façon définitive. Quelque part où je ne pourrais pas faire de mal, à personne.

Jenfi est rentré vers 20h30 et je lui ai raconté tout ça. Il en a ri. Il m’a dit « Tu vas pas te rendre malade avec la connerie d’une formatrice qui a balancé ça sans même connaître l’encoprésie, hein??? ». Jenfi, il ne s’embête pas avec la connerie humaine. Il en rigole et il la met de côté. Loin de lui. Il l’oublie. Moi non, je la rabâche.

J’ai pris Zoé dans mes bras. Pendant toute cette heure à analyser l’impact que cette conversation téléphonqiue avait eu sur moi, j’ai revu Zoé petite. J’ai tenté de voir si j’avais été un monstre a un moment donné de sa vie. Sans le savoir. Je suis montée dans les chambres. Avant que mon film ne commence. Zoé était dans son petit pyjama rouge en polaire. Elle a froid le soir. Elle est si filiforme. Que la peau sur les os. Je me suis assise sur la chaise qui est face à la Wii. Pour que mes petites joueuses soient bien installées. J’ai pris Zoé dans mes bras, comme on prend un bébé. La tête qui repose sur mon bras et ses jambes en suspens par dessus l’autre. Son regard dans le mien. Je lui ai posé dix mille questions; Comme pour savoir si j’étais vraiment celle que je croyais, ou une autre. Zoé m’a caressé les cheveux. A compris que j’avais besoin de lui parler. Là, maintenant. Elle a eu beaucoup de retenue fécale, de maux de ventre cette semaine. Ma formation et le fait qu’elle aille à la cantine une fois la semaine ont suffi à la bloquer. Elle va mieux depuis deux jours. Elle s’est libérée. Dans les souillures et l’épuisement.

Elle s’est redressée et m’a dit juste une phrase.

Zoé : « Tu es la plus gentille des mamans, j’en voudrais pas une autre. »

Je l’ai laissée aller voir « Il était une fois » en DVD. Dans mon lit, sous la couette. Avec Manon à côté. Et je suis partie voir mon film. Je me suis endormie une demie-heure après. Sur un épais coussin. Fatiguée. Par le stress que ça avait mis en moi.

Ce matin, ça va mieux. Le soleil brille. Je vais aller m’acheter des bottes, et Jenfi va tailler la haie.

Bon week-end à vous aussi…